Gabriela Morawetz
Les chambres d’apesanteur
La meilleure des reproductions peut difficilement restituer les œuvres de Gabriela Morawetz, dont le « volume », même s’il s’agit d’images photographiques, les apparente davantage à des objets tridimensionnels et mouvants. Œuvres complexes, faites de toile, de verre et de métal, où les reflets jouent avec la matière. Œuvres à l'étroit dans les pages d'un livre, à moins qu'il ne devienne lui-même objet, comme celui qui accompagne la nouvelle série Chambre d’apesanteur, dont la couverture en plâtre, une fois ouverte, devient chambre et fait du livre une œuvre à part entière.
Avec Gabriela Morawetz l’image entre dans une autre dimension, liée autant à son imaginaire visionnaire qu’aux matériaux qu’elle utilise pour lui donner corps.
Passer la porte de son atelier où elle « fabrique » tous ses projets, permet de pénétrer aussi dans son univers avant qu’il n’investisse la galerie parisienne de Thessa et Jacques Herold qui lui consacrent en novembre prochain une exposition bien le sujet que la matière, est souvent derrière ses recherches.
Sa technique d’étaler rapidement les émulsions au pinceau sur les différentes surfaces, fait penser à celle des fresques (affreschi), peintes rapidement pendant que l’enduit est encore frais (a fresco), et à la matière, qui semble libérer les couleurs. Par ailleurs les signes et les symboles, « postgothiques ou présurréalistes », fréquents dans la peinture religieuse, rappellent ces éléments de mystère que l’on retrouve chez Gabriela Morawetz où, zones occultes, présences étranges et cachées semblent symboliser une sorte d’annonciation etde révélation, permanentes dans l’ensemble de son œuvre, mais qui n’ont jamais lieu.
Gabriela Morawetz met souvent en scène une femme, figure récurrente dans ses « tableaux » ; ici habillée en blanc, le visage dissimulé derrière une forme triangulaire — aile d’un ange déchu ? — elle devient son propre modèle... Les tissus laissent transparaître les formes du corps, délimitent et dessinent l’espace.
On repense à Giotto dont la peinture donnait l’illusion de la sculpture, en jouant avec l’illusion de la profondeur, avant l’invention de la perspective. La présence de draperies et de rideaux traverse toute notre iconographie depuis la peinture religieuse jusqu’aux images des studios photographiques. Depuis le Manto céleste, à la fois manteau de la Vierge ou voûte céleste, tenu par des anges, jusqu’aux fonds peints devant lesquels fait poser le photographe.
Un rideau sur la droite rappelle celui de l’Annonciation à Sainte Anne ; il dissimule quelque chose que l’on ne voit pas, ici métaphore d’une Annonciationqui n’adviendra pas et qui va se répéter et se répéter encore dans d’autres images. Devant le rideau est fixé, à l’aide d’un système de câbles, comme une grande loupe, un verre de forme circulaire qui apporte de la lumière et focalise l’attention, en l’isolant du reste de la composition, installations éphémères et maintient en équilibre le vide et le plein.
Contrairement à Yves Klein qui présenta ses réflexions sur cette question pour la première fois en 1958 à la galerie Iris Clert, rue des Beaux-Arts à Paris, en laissant l’espace entièrement vide et à Arman qui, en réponse, présentait Le Plein dans la même galerie en 1960.
Les chambres de Morawetz racontent plusieurs histoires à la fois, résonnent d’échos divers, du passé et du présent. Lieux d’apparitions et d’évanescences, (évanouissements), elles sont ni pleines ni vides, mais habitées.
Leur poésie contraste avec les éléments géométriques rigides, inclinés précairement sur le sol ou flottant dans l’espace, comme des pensées ou des phrases jamais posées. Tout paraît relatif et l’incertitude s’installe. Les lignes des parallélépipèdes interrompues, les angles souvent ouverts, d’où l’on s’évade en suivant des lignes droites comme des flèches, sont des constantes d’un espace qui semble se réorganiser autour de tous ces éléments, dans un étrange ballet.
Les cercles sont fermés, concentriques, tracés sur le sable, délimités par un barrage de pierres et d’ossements. Tout renvoie au rapport entre mathématiques et astronomie.
Vestiges du passé, rappels de la statuaire gréco-romaine : un drap abandonné sur une méridienne, un serpent, des pierres au sol, une femme, sorte de vestale, qui officie dans la chambre, apparaît et disparaît. Derrière la juxtaposition d’objets réels et les traces de cérémonies secrètes, refont surface rêves et ésotérisme.
De l’opposition de deux systèmes, l’un métaphysique et l’autre rationnel, prend forme un univers visuel nourri de savoirs anciens, de rêves et de visions. Un univers où les certitudes vacillent et le spectateur se retrouve comme en apesanteur suspendu dans l’envoûtant imaginaire de Gabriela Morawetz.
Laura Serani
Octobre 2016
The weightless rooms
The best of the reproductions can hardly restore the works of Garbiela Morawetz, whose “volume”, even if they are photographic images, more apparent to three-dimensional and moving objects. Complex works, made of canvas, glass and metal, where reflections play with the matter. Works in the narrow pages of a book, unless it becomes itself object, like the one that accompanies the new series Chamber of weightlessness, whose plaster cover, once opened, becomes chamber and makes the book a work in its own right.
With Gabriela Morawetz, the image enters in another dimension, linked as much to her visionary imagination as to the materials she uses to give it body.
Passing through the door of her workshop where she “manufactures” all her projects, also allows to penetrate her universe before it invests the Parisian gallery of Thressa and Jacques Herold, which dedicate to her next November an exhibition.
Her techniques of spreading emulsions quickly with a brush in the different surfaces, reminds us the frescoes (affreschi) technic, painted quickly while the coating is still fresh (a fresco), and the matter, which seems to release the colors. In addition, the signs and symbols, “postgothic or pre-realist”, frequent in religious painting, recall these elements of mystery that are found in Gabriela Morawetz where, occult zones, strange and hidden presences seem to symbolize a kind of annunciation and revelation, permanent in her work, but never taking place.
Gabriela Morawetz often stages a woman, a recurring figure in her “paintings”; here dressed in white, the face hidden behind a triangular shape – wings of a fallen angel? – she become her own model… The tissues reveal the forms of the body, delimit and draw the space.
We think of Giotto whose painting gave the illusions of sculpture, playing with the illusion of depth, before the invention of perspective. The presence of draperies and curtains crosses our entire iconography from religious painting to the images of photographic studio. From the celestial manto, both the mantle of the Virgin or the celestial vault, held by angels, to the painted backgrounds in front of which the photographer poses.
A curtain on the right reminds the Annunciation at Saint Anne; it conceals something that is not seen, here a metaphor for an Annunciation that will not come and will repeat itself again in other images. In front of the curtain is fixed, thanks to a system of cables, like a large magnifying glass, a circular glass that brings light and focuses attention, by separating the rest of the composition, ephemeral installations and keeps in balance the vacuum and the full.
Contrary to Yves Klein, who presented his reflections on this question for the first time in 1958 at the Iris Clert gallery, rue des Beaux-Arts in Paris, leaving the space completely empty and to Arman who, in response, presented Le Plein in the same gallery in 1960.
The rooms of Morawetz tell several stories at the same time, resonate with various echoes, the past and the present. Places of apparitions and evanescence, (vanishing), they are neither full nor empty, but inhabited.
Their poetry contrasts with rigid geometric elements, inclined precariously on the ground or floating in space, like thoughts or sentences never asked. Everything seems relative and uncertainty sets in. The lines of the interrupted parallelepipeds, the angles often open, from which we escape by following straight lines like arrows, are constants of a space that seems to reorganise around all these elements, in a strange ballet.
The circles are closed, concentric, drawn on the sand, delimited by a barrier of stones and bones. Everything refers to the relationship between mathematics and astronomy.
Vestiges of the past, reminders of the Greco-Roman statuary: a sheet abandoned on a meridian, a snake, stones on the ground, a woman, sort of vestal, who officiates in the room, appears and disappears. Behind the juxtaposition of real objects and traces of secret ceremonies, resurface dreams and esotericism.
The opposition of two systems, one metaphysical and the other rational, takes shape in a visual universe nourished by ancient knowledge, dreams and visions. A universe where certainties waver and the spectator finds himself as weightless suspended in the enchanting imaginary of Gabriela Morawetz.
Laura Serani
October 2016